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Valve Corporation
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Création 1996
Fondateur•ices Gabe Newell,

Mike Harrington

Forme juridique SARL
Siège social Bellevue (Washington),

États-Unis

Activité Industrie vidéoludique
Produits Jeux vidéo
Effectif 336 (en 2021)
Site web https://www.valvesoftware.com/fr/
Fonds propres Valve est autofinancée ; pas d’investissement externe ni de capital-risque.
Dette Pas de dette significative rapportée pour Valve Corporation
Chiffre d'affaire ≈ $13 milliards (2022, revenus consolidés estimés)
Résultat net Non divulgué publiquement


Valve, l’entreprise sans hiérarchie

Valve fait figure d’ovni dans l’industrie du jeu vidéo, autant par ses innovations que par son fonctionnement interne : pas de chefs, pas de fiches de postes et des bureaux à roulette.

Genèse : une histoire d’indépendance

Valve a été fondée en 1996 par Gabe Newell et Mike Harrington, anciens de Microsoft, avec l’idée de réinventer les jeux vidéo et la façon de travailler dans ce secteur. Dès ses débuts, Valve a choisi l’autofinancement pour préserver sa liberté, refusant toute dépendance financière extérieure. Une étape clé fut le conflit avec leur premier éditeur, Sierra On-Line, qui a tenté d’imposer sa vision sur la gestion du lancement de Half-Life. Cet épisode, très fondateur, a poussé Valve à se battre pour conserver la maîtrise de ses propriétés intellectuelles et à renforcer son orientation vers l’indépendance stratégique.

La société naît explicitement dans un esprit d’expérimentation : réunir des profils talentueux dans un espace où l’autonomie et la responsabilité collective sont la norme.

Structure horizontale : l’origine des « cabales »

Valve fonctionne sans managers, chefs d’équipe ni attribution rigide des rôles. Ses groupes de travail sont appelés « cabales », expression spécifique à Valve, pour décrire un groupe informel d’employés qui se rassemble librement pour travailler ensemble sur un objectif commun, sans hiérarchie fixe et sans nécessité de validation managériale externe.

Le manuel d’accueil de Valve précise que les cabales existent depuis les débuts de l’entreprise, comme des groupes naturels et éphémères que chaque salarié est libre de rejoindre ou de quitter selon l’importance qu’il accorde au projet en question.

Chaque salarié est libre de rejoindre ou former une cabale ; aucun processus d’approbation n’est requis, la motivation se construit sur la valeur attendue pour le client. La mobilité dans l’espace est assurée par des bureaux à roulettes, facilitant le déplacement pour la réunion physique et la collaboration : il suffit de débrancher les câbles, déplacer le bureau, puis rebrancher et reprendre le travail, ce qui permet à chaque groupe de s’agréger rapidement et de repartir quand les priorités changent.

Ressources humaines et profils en T

Le recrutement chez Valve est considéré comme la priorité absolue : l’organisation exige des candidats capables d’autonomie et de responsabilité collective. L’entreprise privilégie les profils « en T » : la barre horizontale du T figure une grande polyvalence sur de nombreux domaines ; la barre verticale représente une expertise très profonde dans un secteur précis. Ce « T » est choisi pour illustrer la capacité souhaitée : travailler de manière transversale tout en apportant un niveau d’innovation de pointe.

Chaque employé a la responsabilité de faciliter, à sa façon, l’intégration des nouveaux arrivants. Ainsi, la première journée de travail d’un nouvel employé débute par un accueil informel et collectif. Il est félicité pour avoir réussi le processus de recrutement, reconnu comme particulièrement exigeant, et pour avoir été sélectionné parmi des candidats exceptionnels, considérés comme les meilleurs dans leur domaine. Il est ensuite invité à explorer l’environnement unique, horizontal et dépourvu de hiérarchie formelle, où il n’y a ni supérieur direct, ni poste prédéfini ni instructions figées. Enfin, il est encouragé à s’adresser à ses collègues, à poser des questions à qui il souhaite et à s’intégrer par le dialogue et l’échange direct avec l’ensemble de l’équipe.

Le manuel d’accueil insiste sur le fait que chaque nouvel arrivant doit décider où installer son propre bureau, s’habituer aux ressources (espace de repos, cuisine, salle de sport, etc.) et commencer à se familiariser avec la culture de l’entreprise en discutant avec ses collègues. Il n’y a pas de parcours balisé ou de tâches assignées : l’objectif de la première journée est de briser la panique initiale en favorisant la curiosité, l’échange et la découverte, afin de permettre au nouvel employé de se sentir rapidement acteur de son parcours professionnel.

Pour favoriser une mesure équitable de la valeur des employés, l’évaluation se fait strictement entre pairs, les retours annuels sont anonymes et un classement comparatif annuel est réalisé pour ajuster la rémunération au sein de l’entreprise.

Concrètement, une fois par an, chaque employé rédige des rapports sur les personnes avec qui il a travaillé. Ces rapports, collectés par un panel qui change à chaque cycle, demandent à chacun d’évaluer son expérience de collaboration avec les autres membres. Les commentaires sont ensuite agrégés, anonymisés et redistribués à chaque employé évalué. L’objectif est d’encourager un feedback constructif, prescriptif et orienté vers l’amélioration, tout en assurant la confidentialité des avis afin d’en garantir la sincérité et l’utilité.

En parallèle de ces rapports annuels, un classement comparatif est réalisé pour ajuster la rémunération au sein de l’entreprise. Chaque groupe de projet ou de produit, divisé en petites entités, classe ses propres membres selon quatre critères :

  • niveau de compétences techniques,
  • productivité/rendement,
  • contribution au groupe,
  • contribution au produit.

Voici quelques exemples concrets de critères : la capacité technique à résoudre des problèmes cruciaux, la quantité de travail fournie (et non le nombre d’heures travaillées), la capacité à aider les collègues ou à améliorer les outils internes, et l’impact concret sur le produit livré ou la satisfaction client. Le classement obtenu par ces rapports sert de base à la redistribution des salaires qui, chez Valve, dépassent largement les normes du secteur.

Chez Valve, le licenciement est rare mais possible, même dans un environnement sans hiérarchie formelle. Le manuel d'accueil précise que la relation de travail est à durée indéterminée, résiliable à tout moment par l’employé ou par l’entreprise, sans qu’aucun motif spécifique ne soit nécessaire. Concrètement, il n’existe pas de procédure institutionnalisée ou de manager chargé des renvois : si un salarié ne répond pas aux attentes, que son adaptation à l’organisation horizontale échoue durablement, ou que ses contributions n’apportent pas de valeur au groupe, il peut être décidé de façon collective et informelle par ses pairs de le laisser partir. De même, lorsque plusieurs collègues constatent qu’un membre ne parvient pas à s’intégrer, à contribuer ou à collaborer efficacement au sein des équipes, ils peuvent initier la discussion autour d’un départ. Dans les faits, la responsabilité du licenciement est assurée par ceux qui acceptent de prendre en charge la démarche, souvent des volontaires parmi les salariés concernés par la situation, sans qu’il n’y ait de procédure formelle ou d’autorité désignée.

Gabe Newell, fondateur de Valve, possède théoriquement le pouvoir ultime de mettre fin au contrat d’un employé, mais il n’agit pas en tant que manager hiérarchique et cette prérogative n’est que rarement mobilisée ; la dynamique reste nettement participative et basée sur la reconnaissance (ou non) de la valeur apportée par chacun au collectif

Processus vitaux : départements et autogestion

Valve ne dispose pas de départements traditionnels centralisés : chaque équipe conçoit librement son organisation et ses méthodes selon les besoins du projet, sans services supports formalisés de type RH, marketing ou informatique.

Prenons l’exemple de la gestion des composants partagés. Il s’agit de groupes dont l’activité principale est d’assurer la maintenance de composants techniques ou de plateformes communes (moteur graphique, serveurs, outils internes…). Ces groupes, sans hiérarchie ni organisation officielle, se concentrent sur le fait de réparer, développer et améliorer ce dont toute l’entreprise a besoin au quotidien. Certains se consacrent donc presque à temps plein à renforcer les coulisses techniques pour permettre aux autres équipes de se concentrer sur leurs propres projets.

La gestion des composants partagés repose sur la coopération horizontale et la volonté des contributeurs à s’investir sur des tâches transversales : les individus rejoignent ces initiatives par intérêt, sollicités directement par d’autres membres ou en constatant eux-mêmes un besoin. Une “règle des trois” s’applique : il faut en général convaincre au moins deux autres collègues de s’investir dans la maintenance ou l’évolution d’un composant partagé pour qu’une équipe se forme et que le travail progresse. La coordination se fait par la réputation, la communication entre pairs et la capacité de mobiliser des compétences motivées, sans structure d’arbitrage hiérarchique.

Ce fonctionnement, adapté à la modularité des produits et à la compétence élevée des collaborateurs, rend possible l’émergence spontanée de plateformes ou de “services” internes, tout en favorisant un traitement flexible et évolutif des besoins communs selon la dynamique des projets.

Les projets se lancent par auto-sélection et consensus (règle informelle du « trois » qui veut que trois personnes au moins croient en une idée pour qu’elle démarre). Les salariés « votent » avec leurs pieds – ou les roulettes de leur bureau : plus un projet attire de collaborateurs, plus il avance confirmant sa pertinence au sein du collectif.

Pour ce qui est de la gestion budgétaire, le reporting, l’innovation et les pratiques RH, ces fonctions sont auto-organisées : chaque équipe ou chaque groupe de projet se charge de définir ses propres besoins, de répartir les budgets, de suivre les dépenses, d’inventer de nouvelles approches, de gérer les recrutements et même d’assurer le suivi administratif nécessaire.

Plus concrètement :

  • La gestion budgétaire est décidée collectivement par les membres impliqués dans un projet, qui évaluent eux-mêmes leurs besoins et rendent compte directement aux autres équipes si nécessaire.
  • Le reporting, loin d’être imposé de l’extérieur, prend la forme de partages informels d’expérience ou de résultats, sous forme de discussions, d’outils collaboratifs internes ou de bilans spontanés entre pairs.
  • L’innovation naît directement de l’initiative des collaborateurs : toute personne peut lancer une idée ou un projet, constituer une équipe autour d’elle, et mobiliser des ressources.
  • Les pratiques RH (recrutement, intégration, retours, départs…) sont assurées collectivement : chacun participe, propose des candidats, s’implique dans l’évaluation et accompagne les nouveaux venus, sans service dédié.

Ces fonctions sont entièrement au service des besoins immédiats des groupes, renforçant la souplesse et la réactivité de l’entreprise.

Ce modèle radical pousse chaque employé à assumer des responsabilités qui, ailleurs, seraient gérées par une direction ou des spécialistes, et à toujours agir en transparence vis-à-vis du collectif, sans hiérarchie formelle.

Vie quotidienne : mobilité, confort et droit à l’erreur

Valve mise sur le bien-être : horaires flexibles, bureaux modulables, avantages de confort (repas, salle de sport, massages, vacances collectives). L’environnement valorise l’entraide, la discussion informelle – dans la cuisine, les ascenseurs, les espaces de repos.

Chacun est incité à discuter librement n’importe quand et avec n’importe quel collègue pour comprendre ce qui se passe, trouver une réponse à un problème ou rejoindre un projet qui l’intéresse.

Le travail est mobile tant physiquement grâce aux bureaux montés sur roulettes mais aussi grâce à la flexibilité des rôles. Un même salarié peut contribuer à différents projets, changer de domaine de compétence ou s’auto-former grâce à la diversité des talents réunis autour de lui.

Chacun apprend en permanence au contact des autres : nouveaux venus comme anciens partagent de façon informelle les bonnes pratiques, s’auto-corrigent, discutent ouvertement de leurs erreurs et tirent collectivement parti de leurs expériences réussies ou des échecs rencontrés.

L’erreur n’est pas stigmatisée : « Personne n’a jamais été renvoyé de Valve pour avoir fait une erreur. Même les échecs coûteux sont vus comme des opportunités d’apprentissage », souligne le manuel interne. L’expérimentation, la remise en question et la coopération sont vécues comme les moteurs de progrès.

La gestion des conflits s’effectue principalement par la discussion et la recherche de consensus entre pairs, sans intervention d’un manager ou d’un département spécialisé. Lorsqu’un désaccord émerge au sein d’une équipe, le principe est d’exprimer ouvertement son point de vue, de confronter les arguments et d’impliquer d’autres collègues afin de multiplier les perspectives et de trouver un terrain d’entente. Si le conflit ne se résout pas au sein du groupe, des membres extérieurs sont parfois sollicités pour aider à trancher, mais l’accent reste mis sur la responsabilité individuelle et collective de maintenir la coopération dans un environnement horizontal.

Diffusion du modèle et limites inhérentes

Les exemples d’entreprises ayant adopté une structure proche de celle de Valve sont rares à l’échelle mondiale. D’après le numéro spécial “Organization Zoo” du Journal of Organization Design consacré au cas Valve, les « cas cousins » les plus cités figurent W.L. Gore (Gore-Tex), Morning Star, Oticon, Semco, GitHub ou encore Menlo Innovations.

La diffusion du modèle reste rare de par la difficulté à réunir certaines conditions-clés : il faut un produit ou une activité très modulaire, une main-d’œuvre ultra-qualifiée, souvent passionnée, et, surtout, des actionnaires et dirigeants prêts à renoncer au contrôle hiérarchique classique au profit d’un fonctionnement par confiance et auto-organisation.

Toujours selon le Journal of Organization Design, plusieurs contributeurs soulignent que ce modèle s’avère particulièrement adapté aux secteurs où la créativité et l’innovation priment, comme le jeu vidéo ou le logiciel libre, mais qu’il atteint vite ses limites dans de grandes structures ou des industries nécessitant une forte coordination transversale (finance, logistique, production industrielle…).

Les principales limites de ce modèle sont l’apparition de cliques ou de hiérarchies informelles, la difficulté d’intégrer les nouveaux, la lenteur à prendre des décisions en cas de crise et le risque d’isolement pour les profils moins extravertis. Un ex-employé témoigne : « Valve ressemblait beaucoup à un lycée… Il y a des “enfants populaires” qui ont acquis du pouvoir dans l’entreprise, puis il y a les “trouble makers”, et tous les autres entre les deux. » Des chercheurs notent que la popularité, la réputation et les affinités personnelles peuvent prendre le pas sur la logique purement créative ou professionnelle, entraînant parfois une forme de division sociale ou de “club fermé” autour de certains projets ou décideurs informels.

S’ajoute à ce phénomène la “règle des trois” qui incarne la logique auto-sélective propre à Valve. Aucun nouveau projet ne peut émerger s’il n’attire pas au moins trois salariés motivés pour déplacer leur bureau et s’y engager. Cela a pour effet positif d’encourager l’initiative collective mais favorise aussi, selon les chercheurs, la concentration des efforts sur des projets consensuels ou portés par les membres déjà les plus influents ou charismatiques, au détriment des idées plus originales ou disruptives.

Par ailleurs, un cas emblématique de dérive est cité dans le numéro spécial du Journal of Organization Design. Dans ses premières années, Valve a activement recruté des profils variés, misant sur une politique d’embauche ambitieuse et une certaine ouverture à la diversité, notamment en recherchant des talents hors des réseaux traditionnels du jeu vidéo. Toutefois, cette dynamique n’a pas été suivie d’une structuration de la politique de diversité : en l’absence de relais ou de processus dédié, la sélection et l’inclusion se sont peu à peu repliées sur les affinités préexistantes au sein du collectif, limitant la diversité réelle parmi les salariés.

Témoignages : créativité et défis personnels

Les témoignages d’employés révèlent une double réalité : « Notre quotidien, c’est avoir une idée, en parler à un collègue, travailler dessus ensemble, finaliser le produit puis le diffuser, sans validation bureaucratique. Mais cela exige une forte initiative personnelle », confie un salarié. Un autre décrit un environnement stimulant mais aussi complexe : « Valve, c’est vraiment intense, il faut savoir s’intégrer sans guide, parfois se repérer dans des cercles informels, mais c’est un lieu de créativité pure ».

Conclusion et perspectives

Valve démontre que l’organisation sans chef peut libérer un potentiel collectif exceptionnel, à condition d’accepter la responsabilité, l’initiative et la remise en question permanente.

La réussite de Valve est étroitement liée à des facteurs très spécifiques : taille limitée, autofinancement, marché du jeu vidéo caractérisé par la modularité des tâches, recrutement de profils ultra-qualifiés, et présence d’un fondateur-propriétaire garant des principes fondateurs.

Ainsi, la transposabilité du modèle dans d’autres contextes ou à plus grande échèle suppose un arrangement subtil de dispositifs complémentaires, comme la règle des trois, l’évaluation par les pairs, la mobilité interne, les rémunérations au mérite, etc. Néanmoins, les principes sous-jacent du modèle de Valve sont inspirants pour les entreprises qui souhaitent s’orienter vers l’auto-organisation.